À La Courneuve, le garage solidaire Mobilhub dépanne les plus précaires

Par Elsa SABADO – Le 28 Octobre 2020

Quand je travaillais dehors, il faisait froid, il pleuvait, c’était dangereux. Même en gagnant beaucoup, ça ne me donnait aucun droit. Avec le garage, j’ai mis en ordre mes papiers pour les impôts, et j’ai demandé un logement social », se félicite Raymond, 55 ans, en décabossant une aile de voiture. Il a toujours été carrossier : d’abord en Côte d’Ivoire, ensuite dix ans en tant qu’artisan à Drancy – « mais les banques ne m’ont pas fait confiance » –, puis comme salarié à Saint-Ouen et, enfin, au noir, en plein air. L’embauche en insertion par Mobilhub lui a permis de stopper la spirale de la dégringolade. Il espère pouvoir bientôt troquer la caravane où il vit pour un logement en dur.

Côté mécanique, Ibrahim, l’autre mécano du garage, ausculte les dessous d’une voiture. « Je suis arrivé en France le 20 novembre 2014, gare de Lyon. Au centre de l’Ermitage, à Versailles, quelqu’un m’a aidé à aller sur Internet et m’a trouvé cet emploi », raconte l’immigré soudanais, traduit de l’arabe par un des employés administratifs du garage. Là, il améliore son niveau de mécanique et apprend la langue grâce aux cours de français langue étrangère. Le garage a aussi embauché en contrat d’insertion deux opératrices mobilité qui suivent les dossiers des clients et gèrent l’achat des pièces. « Ici, on m’a fait confiance, confie Nadia. Après un divorce compliqué et cinq ans au chômage, travailler au garage a bouleversé ma vie. Psychologiquement, moralement, cela m’a beaucoup aidée. »

Des tarifs sur mesure

À l’origine de ces redémarrages en côte, Mobilhub, le « garage solidaire » de La Courneuve. Ce chantier d’insertion a installé ses ponts élévateurs dans une ancienne usine métallurgique aux airs de cathédrale, au cœur de la ville. Il aide les personnes précaires en tant que salariés, mais aussi en tant que clients, en proposant deux tarifs : l’un pour le grand public, le second pour les allocataires de minimas sociaux.

Une aide non négligeable dans une ville où 43 % des foyers se situent en dessous du seuil de pauvreté. La clientèle semble satisfaite, et le rend bien au garage : « Ils ont réparé ma voiture une première fois : j’avais payé 155 euros au lieu de 300 pour changer les amortisseurs. Un jour, elle a décidé de ne plus avancer. Comme ça m’aurait coûté trop cher de la faire entièrement réparer, je la leur ai donnée », explique Lydie, bénéficiaire de l’AAH (allocation adulte handicapé).

À l’origine de ce garage solidaire, Olivier Esclauze, consultant en stratégie d’entreprise, et Seyffedine Cherraben, élu maire adjoint de la Courneuve en 2014 et originaire de la Cité des 4 000. « Nous voyions nos voisins peiner à trouver des emplois parce qu’avoir une voiture leur revenait trop cher. En découvrant cette histoire de garage solidaire à la télévision, nous nous sommes rendu compte qu’il n’existait pas grand-chose de ce genre en Île-de-France », expose Olivier Esclauze. Le duo se lance donc dans l’aventure et toque à toutes les portes. « La mairie nous a aidés à trouver un local, l’agglomération a financé les ponts d’élévation, nous avons recueilli le soutien de la Macif, de Batigère, d’EDF ou de l’Arc de l’innovation », énumère le consultant.

Ils finissent par ouvrir en octobre 2018 sur une friche d’Airbus un peu excentrée, avant de déménager, en 2019, au cœur de La Courneuve. En deux ans, un millier de clients ont fait appel à leurs services, dont 70 % de personnes précaires. Leur carnet de commandes est plein, deux nouveaux contrats d’insertion sont venus s’ajouter aux quatre déjà existants et un dernier est en cours de recrutement. Cette réussite se mesure aussi à l’aune de la vingtaine de mairies venues examiner le nouveau modèle pour, qui sait, s’en inspirer. Un succès qui donne l’envie à Olivier Esclauze de créer à présent son « Mobilab ». « Quand on pense innovation, on pense aux laboratoires ou aux grands groupes. Les gens de banlieue tendent à s’autocensurer alors qu’ils ont d’excellentes idées : un boîtier pour faciliter l’autopartage, l’adaptation de sièges auto pour les handicapés, un rucher mobile pour sensibiliser à l’apiculture en banlieue, etc. » détaille-t-il. Pourvu qu’il passe à la vitesse supérieure !

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